En introduction lors de l’AG constitutive, Catherine de Villers a rédigé et lu le texte repris ci-dessous en italique. Celui-ci met en avant qu’à la source de notre projet, il y a un choix politique et éthique.
Tout d’abord, nous tenions à vous remercier chaleureusement pour votre présence et surtout de contribuer à notre projet en acceptant d’être membre.
En guise d’introduction, je dirai quelques mots concernant l’émergence de notre désir de créer cette institution.
Notre choix est d’une part politique et éthique.
Nous vivons dans une société où les libertés individuelles s’élargissent avec des mondes de possibles qui s’ouvrent pour chaque sujet et en même temps, à l’inverse, où des dispositifs d’évaluations et de dominations sont de plus en plus à l’oeuvre. Il y a d’une part plus de liberté, de négociations et d’autre part, plus de contrôle du comportement et du discours, plus de normes. Comme le dit Jean de Munck : Dans nos sociétés modernes, la normalité est la capacité de circuler, de s’adapter. Une flexibilité est exigée. La pathologie est de moins en moins repérée à partir de la transgression, de la déviance par rapport à la loi, qui est de toute façon changeante, mais à partir de la rigidité (1).
La société actuelle a une tendance forte à l’objectivation comportementale des individus. Le contrôle social se porte sur les comportements objectifs, sur les conduites qui sont des événements identifiables, classables et produisent des effets. Il mesure, corrèle les données à des contextes et cherche à réguler cela de l’extérieur par des appareils de surveillance et de collecte de données. L’évaluation psychiatrique vise un changement de comportement dans un contexte de surveillance et de gestion des comportements objectifs. Nous observons une forme de réduction à une fonction éducative, réeducative et d’apprentissage (2).
Comme le dit si bien Alfredo Zenoni : L’institution est premièrement un refuge, une mise à distance de cet insoutenable du lien social qui met à mal le sujet. La vie en commun permet un premier traitement par sa dimension d’accueil sous la forme d’un « lien social protégé ». L’institution, deuxièmement, face à une jouissance qui accable et fait retour dans le corps, ou face à un vide de désir, soutient la formation d’un symptôme-partenaire ou même permet un branchement original sur le social. Par la contingence d’une rencontre, un pont d’arrimage, un investissement dans l’institution, et cela de manière fortuite, la création d’un réseau relationnel du sujet sera possible (3).
Il ne s’agit donc pas de faire des plans, des contrats qui anticipent le devenir du sujet, qui le prédestine à une amélioration quantitative de son état sans se soucier de ses impasses, ses désirs comme le dit Dominique Holvoet : Quelle sera l’agrafe par laquelle un sujet pourra tramer différemment son destin ? Dans l’institution, nous aurons à nous tenir à l’invention en offrant les matériaux nécessaires à faire agrafes pour le sujet et l’accompagner dans cette construction. C’est pourquoi aucun protocole ou évaluation ou contrat préétabli ne pourra se revendiquer d’une clinique du sujet (4).
En construisant son propre petit réseau, le sujet montre l’usage qu’il fait de l’institution, ce à quoi elle lui sert. Le sujet est à l’origine du réseau qui n’est pas conçu par l’Autre. Le réseau n’est donc pas synonyme de coordination à seule visée de réinsertion socioprofessionnelle. Le réseau se développe à partir de l’implication du sujet, de ses choix et investissements et vise une inscription dans un réseau de relations (5).
Notre centre d’accueil s’adresse aux jeunes à partir de 16 ans. Cette période symbolique du passage à l’âge adulte où se pose des choix décisifs nécessitant un positionnement subjectif peut s’avérer délicat pour l’individu. Nous avons observé combien la parole était un média difficile pour certains jeunes. Les entretiens et consultations sont laborieux, voire impossible tant le silence y occupe toute la place ou parce que le jeune ne revient plus.
Comme le souligne Philippe Lacadée : L’adolescent est marqué par un refus d’en passer par la parole. La jouissance est inter-dite à qui parle comme tel. Le fait de s’inscrire dans la parole vient refréner la jouissance pour tout être humain. Une attention particulière se porte alors sur ces adolescents attirés par le passage à l’acte, la rupture et la tentative de séparation d’avec l’Autre. Ces troubles du comportement témoignent d’un refus de la parole où le texte est davantage agit. Là où ça ne parle pas, s’élève le murmure de quelque chose qui agite l’être. Soulignons d’ailleurs que l’adolescent silencieux, qui ne parle pas, qui ne se fait pas remarquer, qui reste seul dans son coin est tout autant inquiétant que celui qui est très agité (6).
Cette crise du langage nous conduit à nous tourner vers d’autres voies. Les pratiques artistiques visent un montage du corps, de la parole et de l’invention. L’art est un processus de symbolisation sans code préétabli qui permet d’articuler parfois monde privé et espace commun (7).
Les ateliers artistiques animés par des artistes sont le socle de notre projet par l’accroche possible de certains jeunes et l’inventivité qui pourra en découler.
1 De Munck J. : la psychiatrie entre droit et contrôle social, Working Paper 39, Novembre 2016, CRIDIS.
2 De Munck J. : la psychiatrie entre droit et contrôle social, Working Paper 39, Novembre 2016, CRIDIS.
3 Zenoni A.: Le lien social et le symptôme dans la psychose, 2004, La Journée d’étude du Foyer de l’Equipe
4 Holvoet D. : Agrafes et inventions : la nécessité de l’institution, ACF-Belgique à Liège- 19 mai 2018.
5 Zenoni A.: L’origine du réseau.
6 Ph. Lacadée : des adolescents au collège pas sans leurs professeurs, p 153-p 187, Joseph Rossetto : jusqu’aux rives du monde, une école de l’expérience.
7 De Munck J. : la psychiatrie entre droit et contrôle social, Working Paper 39, Novembre 2016, CRIDIS.